L’art de se faire des ennemis
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moi, c’était la nuit, il faisait froid et il pleuvait. Des gens
ni tristes ni gais, pas forcément très jeunes, passaient
dans la rue, vêtus souvent de façon quelconque au volant
d’une voiture banale, fonçant dans l’inconnu. Le contraste
était saisissant.
Il y a une relation entre le célibat et la publicité. À force de
ne voir à la télé que des créatures de rêve en train de
vivre des relations humaines de rêve dans une vie de
rêve, on finit tout naturellement par rechercher la même
chose dans la rue, où il n’y a que des gens moyens
immergés complètement dans un
moyen
extrême.
La recherche de perfection amoureuse, comme celle de
toutes les perfections célébrées dans un livre fameux :
« Le Prix de l’Excellence » (qui a contribué à névroser
toute une génération) conduit à l’inadaptation, à la
frustration et à la solitude.
Les théologiens disent que l’imperfection est une des
conditions de l’existence.
La recherche de la perfection mène au néant.
Si, à Paris, un appartement sur deux est occupé par un
célibataire qui ne connaît même pas le nom de ses voi-
sins, ce n’est pas par hasard. C’est peut-être un peu parce
qu’à force de se voir offrir des produits présentant zéro
défaut, demandant zéro délai et présentant le maximum
de séduction au moindre coût, on finit par penser que,
des relations humaines, on peut attendre la même chose.
L’enfant gâté de notre temps en arrive à se comporter
à l’égard de son partenaire amoureux comme à l’égard
d’un fournisseur.
Mais, en même temps et paradoxalement, la coïncidence
parfaite est de moins en moins facile. Depuis plus de 30
ans, les habitants des pays riches s’individualisent et se
différencient de plus en plus sous l’effet conjugué :