L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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L’organisation tayloriste en vogue au xx
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siècle affectionnait la spéciali-
sation. On était au travail OU en vacances (ou encore à la retraite). On
ne mélangeait pas le professionnel et le privé. On avait une qualification
professionnelle bien précise acquise dès l’enfance et dont on ne chan-
geait que fort difficilement. On était ouvrier OU cadre, intellectuel OU
manuel, financier OU psychologue, artiste OU fonctionnaire, marié OU
célibataire. C’était le temps de l’exclusivité universelle.
Le siècle en cours semble préférer l’inclusion à l’exclusion : on peut avoir
plusieurs activités professionnelles simultanées, la frontière entre le
travail et le non-travail, l’apprentissage et le loisir, l’amitié et les relations
professionnelles est moins précise. De plus en plus, on voit fleurir des ET
là où poussaient des OU. Les OU sont relégués de plus en plus au registre
des mauvaises herbes.
La logique du « Ou » est un des héritages de la révolution industrielle.
Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Il faut qu’une journée soit
ouvrable ou chômée. Il faut qu’une entreprise soit rentable ou défaillante.
Il faut toujours « choisir ». La logique de l’exclusion s’impose.
À la différence du mécanique, le biologique sait pratiquer la logique du
« Et ». Un arbre peut être dépouillé de feuilles et cependant continuer
à vivre en attendant la fin de l’hiver. Un animal peut se sentir en pleine
forme et cependant vieillir. Une fleur peut être empoisonnée et cepen-
dant arborer des couleurs triomphales. Un tas de fumier peut enfanter
des roses. Ici commence le règne de l’ambiguïté. Chaque berceau
dissimule un cimetière ; chaque automne, un printemps.
Le secret du développement durable ne réside pas dans la stabilité d’une
ligne droite, blanche, horizontale, pure, sinistre. Il est au contraire fait de
milles courbes imprévisibles qui se superposent en bondissant comme
des dauphins. À la manière du vivant, il intègre des mailles entrelacées qui
pratiquent le caprice des couleurs à la façon de guirlandes lumineuses à
Noël. Le secret du développement durable réside dans la capacité à se
réinventer sans cesse.
Dans cette optique, on peut rêver d’une bio-économie dont les objets
produits puis échangés ne soient plus des objets passifs mais des sujets
intelligents, capables de changer de sens en fonction des circonstances.
Chacun contient en germe une polyvalence, une collection de possibilités,