L'art de se faire des ennemis - page 150

proportion, mais déplacés dans des insignifiances. Car les
angoisses ou la souffrance ont des limites secrètement assez
proches. Il suffit quelquefois d’une chaise pour toucher le
plafond.
Comment dans ces conditions ne pas succomber aux tenta-
tions fascinantes d’évasion virtuelle qui sont offertes en
abondance par les firmes, les mafias et les sectes. Certes,
les modèles soporifiques proposés ne sont pas exempts
d’arrière-pensée lucrative ou idéologique. La bataille pour
l’ «
envoûtement
» du plus grand nombre fait rage aussi
bien chez les commerçants en quête de clients que chez les
gourous en quête de fidèles. Mais comment résister aux
sollicitations d’une vie exotique et facile à bon marché
quand, lorsqu’on lève le capot et qu’on pose le pied hors du
stimulateur, on ne trouve qu’un dimanche après-midi de
décembre, obscurci par la solitude, le brouillard et l’ennui.
Quand, dans un temps très proche, tout sera devenu gratuit,
ou presque, une seule chose conservera de la valeur, la seule
chose qu’on ne puisse ni vendre, ni acheter, ni produire
en série : des relations humaines intenses et désintéressées.
S’il n’y a plus qu’un argument pour échapper à la zombifi-
cation à outrance des temps à venir, c’est de celui-là
qu’il s’agit. C’est afin de lui laisser une chance que je
vous propose ces dernières recommandations. Elles vous
permettront peut-être d’échapper, comme je n’ai pas
toujours su le faire, au dernier grand danger qui menace
les relations humaines de notre temps (mais aussi de tous
temps), ce que nous appellerons la Captivité.
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