L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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V
isolé qu’un parcours, on pourra également cheminer seul le long d’une
route, un peu comme les pèlerins de Compostelle. On ne se vide jamais
autant qu’en partant de quelque part.
Le vide seul permet le plein. Le vide de la séparation rend disponible aux
rencontres nouvelles. Le vide du déménagement permet d’apprendre de
nouvelles façons de vivre. Mais comme rien n’est plus éphémère que le
vide, la Nature ne l’aimant pas, le vide doit être sans arrêt réinventé et
recréé en soi par un mouvement de dépouillement continuel. Le Vide au
fond n’existe pas. Il n’y a que des individus qui aspirent à se vider d’eux-
mêmes et qui n’y parviennent qu’imparfaitement ou provisoirement, un
peu comme un canot percé qu’on peut vider avec un bol mais dont on
ne peut jamais assécher complètement la cale.
V
ie
privée
La notion de vie privée est en passe de devenir un terme en voie de
disparition. Sur Internet tout est devenu visible. Il suffit aujourd’hui d’aller
fouiller sur Internet, Google, Facebook, MySpace, etc., pour tout savoir
ou à peu près tout sur son voisin : son historique, ses œuvres, ses fré-
quentations et même son casier judiciaire. La traçabilité opère dès que
l’on utilise son mobile ou sa carte de crédit, dès qu’on connecte son
ordinateur, dès qu’on pénètre dans un lieu public équipé de caméras de
vidéosurveillance.
Bientôt des boîtes noires personnelles permettront de stocker en vidéo
la vie réelle de chaque individu, seconde après seconde. Il sera également
possible d’entrer dans les secrets de son génome ou de son métabolisme.
Sa pression artérielle et son taux de glycémie seront en accès libre sur
certains sites bien renseignés. Virtuellement, tout cela sera accessible aux
hackers, aux voyeurs, aux dictateurs, aux compagnies d’assurance et à
tous ceux qui s’ennuient le dimanche après-midi lorsqu’il pleut.
L’industrie du filtrage connaîtra vraisemblablement une prospérité
remarquable car le domaine du secret ne disparaîtra pas : il deviendra un
luxe que les très riches pourront s’offrir, un nouveau marché très juteux.
On vendra demain du secret ou de la discrétion comme on vendait hier
des cigarettes ou de la médiatisation. Lorsque l’info est bon marché, le
prix du secret grimpe.