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D
ictionnaire
des mots
en
voie
de
disparition
Une autre catégorie pourra également se soustraire à l’
omni-surveillance :
les rats, les petits dont l’existence n’intéresse personne, les sans-logis, les
sans-papiers, les sans-carte de crédit, les sans-amis, le peuple des errants
qui se trimballent de ville en ville ou de pays en pays avec en poche
quelques billets ou quelques pièces de monnaie, le peuple de ceux qui
dorment sous les étoiles.
La vie privée va peu à peu devenir le luxe des très riches… ou des très
pauvres.
V
ieillir
Sur le papier, c’est magnifique. Le troisième, le quatrième et même le
cinquième âge sont promis à un brillant avenir. Assurances, gestion de
patrimoine, produits diététiques, professions de santé, tourisme : le mar-
ché des personnes âgées est un eldorado pour le marketing. Dans ces
conditions, on ne voit pas pourquoi on ne ferait pas tout pour prolonger
son existence, d’autant que l’espérance de vie ne cesse de progresser.
Admettons qu’il vous faille quatre minutes pour lire cet article : dans
le même temps, votre espérance de vie a augmenté d’une minute. Le
contrôle du télomère par l’usage (prudent) d’une enzyme, la
télomérase,
devrait bientôt permettre de faire de la vie humaine un long voyage
d’une durée moyenne de 110 ou 120 ans.
Le marché gigantesque des personnes vieillissantes pose toutefois un
problème de rentabilité, car qu’est-ce que vieillir veut dire ? Si le terme est
synonyme de s’immobiliser progressivement, physiquement et mentale-
ment, cela n’est pas très bon pour une croissance éprise de mouvement
et d’innovations permanentes. Aucune société n’a les moyens de s’offrir
une vaste peuplade de retraités inactifs. Dans les pays trop vieux où les
ajustements seront trop retardés, les jeunes s’expatrieront pour fuir les
charges de leurs aînés, à moins que l’inflation ne vienne remettre les pen-
dules à l’heure et redistribuer les ressources à ceux qui les produisent.
La retraite cessera alors d’être attendue, enviée. Elle deviendra peut-être
culturellement une honte, une indécence.
À Tahiti où les ressources naturelles étaient rares, on avait jadis recours
au cocotier. Tous les adultes vieillissants du village devaient chaque année
en faire l’escalade. Le cocotier était alors secoué dans tous les sens. Les
grands malades, les affaiblis, les inutiles étaient éliminés naturellement.