L'art de perdre son temps - page 71

Être « dépendant » des êtres
et des choses
L
’accumulation de quoi que ce soit n’a plus aucun sens
dans un monde où tout est devenu fluide.
L’accumulation d’un patrimoine énorme avait un certain
sens dans un contexte de précarité relative. Mes grands-
parents adhéraient au bien-fondé de ce système de
valeurs, car ils avaient connu les coupons de rationnement
durant la Seconde Guerre mondiale. « Mettre de côté » des
biens ou de l’épargne était pour eux une attitude dictée
par un souci de sécurité.
Mais dans une civilisation de la surabondance, comme
la nôtre, où l’offre déborde la demande quasi systémati-
quement et où les commerçants, les industriels, les spécia-
listes en marketing, les hommes politiques et les gourous
économiques ne savent plus quoi inventer pour obliger
les gens à acheter ce dont ils n’ont pas besoin, ce réflexe
est devenu périmé. Le goût de l’accumulation n’est plus
qu’une attitude anachronique, voire malsaine, davantage
destinée à combler une névrose personnelle d’insécurité
que l’aboutissement d’un projet de vie intelligent.
Même si l’on se retrouve un jour dans la rue sans un sou,
parce que les impôts, la Sécu, les fournisseurs ou les
concurrents ont réussi à tout vous prendre, il y aura encore
pour vivre des RMI, des allocations vieillesse, des alloca-
tions parentales ou d’autres trucs de la même veine.
La société française contemporaine n’a sans doute plus
besoin de nous comme travailleur. Mais elle n’a pas les
moyens de se passer de nous comme consommateur.
Elle se débrouillera donc toujours pour nous offrir un
petit pouvoir d’achat (c’est-à-dire un devoir d’achat)
même si nous ne lui demandons rien.
et d’en faire perdre aux autres
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