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D
écouvrez
la
face
cachée
de
votre
personnalité
Le Passionné
Problématique
1/ Prélude
Suzanne a presque soixante-dix ans. Presque tous ceux qui la connais-
sent disent d’elle que c’est une femme extraordinaire. Levée très
tôt, elle se rend avant tout le monde sur son « chantier ». Son
chantier est à deux pas de chez elle, aussi s’y rend-elle à pied, dans
l’air bleuté qui règne à six heures du matin. La passion de Suzanne,
c’est en effet la retape des vieilles baraques. Elle achète des ruines,
les transforme en palaces et les revend trois fois plus cher. Avec le
bénéfice, elle rachète une ruine trois fois plus grosse que la précé-
dente, la transforme en palace, etc. Cette passion de Suzanne est
récente. Avant que faisait-elle ? Elle ne faisait pas grand chose. Elle
s’occupait des enfants, faisait le ménage, accompagnait son homme,
un écrivain célèbre, dans une de ses tournées de conférence, ce qui
n’avait d’autre effet que de la persuader qu’elle était bête. Mais le
jour où son homme partit faire des conférences à l’étranger, l’exis-
tence véritable de Suzanne put enfin commencer. Oh, solitude ! Toi
seule ne m’as pas amoindrie ! À presque soixante-dix ans, Suzanne
mène la vie d’un chef d’entreprise, travaillant chaque jour ses quinze
heures et, le reste du temps, dirigeant sa très nombreuse famille
(enfants et petits enfants) par téléphone, faisant des confitures en
quantité industrielle, entretenant autour d’elle, dans sa propriété
immense, une arche de Noé faite de moutons, de lévriers, de boucs,
de lapins nains et de chattes en chaleur aumilieu desquels elle règne
en maîtresse jamais contestée.
Le petit-fils de Suzanne s’appelle Vincent. Il a des passe-temps étran-
ges pour un gosse de onze ans. Il est très absorbé, il est toujours en
train d’élaborer des trucs et des machins de toutes sortes. Parfois,
c’est un plan détaillé de fusée, parfois c’est la carte routière d’un
pays de fiction, parfois c’est la grammaire d’une langue nouvelle
destinée à remplacer toutes les autres, parfois c’est un abri dans le
fond du jardin, d’où partira un souterrain interminable. À l’occasion