L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
109
I
il faut remette la chaîne
à la main,
le chocolat chaud
maison,
le marché
du dimanche matin avec un vieux panier d’osier déniché dans un vide-
grenier, la pétanque du dimanche après-midi avec des copains en béret,
le sourire énigmatique de la bouchère, l’écoute attentive du psy, les doigts
délicats de la réflexologue qui se promènent sur la plante de vos pieds.
À l’industrie de la matière a succédé à la fin du xx
e
siècle une
industrie de
la connaissance
qui est relayée progressivement par une
économie de la
reconnaissance.
Dans une Europe saturée de matière et dépourvue de
pétrole, l’économie du xxi
e
siècle sera relationnelle ou ne sera pas.
À la fin du xx
e
siècle, l’énergie peu coûteuse autorisait les mécanos géants,
la production industrielle de masse, le développement bureaucratique,
les administrations à la française, la multiplication des
intermédiaires
et donc, des situations de rente et la culture du mépris propre aux
organisations centralisées.
Ces maillages étendus exigeaient des déplacements nombreux et
lointains qui impliquaient à leur tour un grand nombre d’automobiles
individuelles, de TGV ou d’Airbus A300-quelque chose. Le serpent se
mordait avec obstination la queue : on se déplaçait toujours plus afin de
produire toujours plus de moyens de transports, lesquels supposaient
toujours plus de déplacements d’affaires et de mouvements circulaires.
Les hommes tourbillonnaient à cette époque comme des électrons dans
un atome ou des moucherons devant des phares allumés. Évidemment
tout cela supposait des relations personnelles plutôt…impersonnelles.
Pierre qui roule n’amasse pas mousse.
Le pic du pétrole et son renchérissement induisent en revanche un
raccourcissement des
chaînes logistiques
(transports, approvisionnement,
distribution) : une escalope de dinde ou une mangue prédécoupée ne
pourront plus longtemps parcourir 10 000 km pour parvenir dans votre
assiette après un voyage digne d’Ulysse entre des containers multicolores,
les docks de Singapour, de Rotterdam ou d’Anvers, la centrale d’achat de
Carrefour et les rayonnages promotionnés pour les fêtes de Noël.
Par ailleurs les nouvelles technologies, couplées aux exigences d’une
économie des services, induisent un
raccourcissement des circuits
d’information et de décision.
Le
multiNet
(Internet, Intranet, Extranet,
etc.) permet de tout savoir tout de suite et de prendre une décision
immédiatement. Ça tombe bien : c’est exactement ce qu’exige votre
client. Votre client a (comme vous-même, avouez-le) toujours un peu
moins de temps à perdre, comme si le phénomène de
rétrécissement de
l’Espace
se compliquait d’un phénomène de
compression du Temps.