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D
ictionnaire
des mots
en
voie
de
disparition
Notre société de consommation de masse fabrique massivement de
la solitude car l’individu seul consomme beaucoup plus que l’individu
heureux dans sa famille. Elle brise donc les couples sans pitié car l’amour
est dangereux pour elle : on peut en effet légitimement soupçonner
l’amour de permettre à celui qui l’éprouve de trouver son bonheur
vers l’intérieur, de le détourner de l’addiction des magasins, d’inciter à
renoncer aux produits de substitution ou de consolation. Tout est donc
mis en œuvre pour exalter l’individualisme afin de créer une soif inassou-
vie de relations personnelles.
Après une période économique marquée par la matière et par le
traitement de l’information abstraite, voici donc venir celle des échanges
vivants et individualisés. La
reconnaissance
prime déjà sur la
connaissance
dans bien des domaines : ce que les banques valorisent aujourd’hui par
exemple, c’est la qualité de l’accueil ou du conseil en fonction de l’impor-
tance relative du client. Dans le siècle nouveau, les services relationnels
vont peut-être récupérer toutes les fonctions dédiées jadis au réseau
amical. D’où l’essor du coaching et de l’accompagnement sous toutes
ses formes. Soyons honnêtes : certaines amitiés n’étaient pas équitables
jadis lorsque l’un écoutait exclusivement l’autre. La monétarisation de
l’amitié rétablit l’équilibre : celui qui écoute fait payer celui qui parle. D’où
l’explosion, surtout dans les grandes villes impersonnelles, des cabinets
de
thérapeutes,
où l’on vient payer fort cher pour être simplement, enfin,
écouté.
Les geishas du Japon vivaient parfois comme des princesses en
prodiguant ce qui manque aujourd’hui le plus dans notre civilisation
glacée : une attention, un regard, une incursion hors de la solitude, une
consolation à l’indifférence.
Ici se niche sans doute l’avenir secret de l’économie des services : au cœur
de ce qui, hors de l’économie de marché, s’appelait jadis l’intimité, l’amitié
ou l’amour.
Il faut donc revisiter le concept de service, briser la notion, en écarter un
certain nombre de déchets passés de mode et la redéfinir autour de ce
qu’elle a de plus prometteur : le
one to one.
S
exualité
gratuite
Après la saturation du marché en produits de consommation courante
comme les machines à raclette ou les robots faiseurs de frites sans graisse,
l’économie a cru un moment trouver la solution miracle avec l’industrie