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D
ictionnaire
des mots
en
voie
de
disparition
tante par l’abandon de l’amour de sa vie. Il était encore possible d’aller
prendre un café sans sucre et sans goût de vanille ajoutée, d’acheter un
simple bifteck chez le boucher du coin ou de faire des études d’anglais
pour devenir professeur d’anglais.
Dans le nouveau monde, la complication universelle est devenue la
norme. Tout est en effet lié à tout. Les innombrables liens des innom-
brables sites web ont créé une forêt tropicale aux lianes chevelues. Le
moindre de vos mouvements est connu de Google ou de Facebook qui
répercutent l’information à tous les autres Terriens. Il n’est plus possible
d’acheter des œufs sur Hourra.com sans déclarer son numéro de carte
de crédit à 12 chiffres augmenté de son code confidentiel et de recevoir
toutes les semaines une newsletter déterminée à rendre votre numéro
client actif, c’est-à-dire à vous rendre captif.
La simplicité devient donc peu à peu un produit de luxe, réservé aux ini-
tiés, à une élite ou aux vacances. À quand la ferme française, reconstituée
dans un sous-sol de Las Vegas ou de Dubaï, où il est possible de n’acheter
qu’un œuf ou un yaourt non aromatisé ? À quand des marchands de
sieste pour vous vendre à prix d’or la possibilité de passer deux heures
dans un fauteuil sans votre téléphone ? Depuis longtemps déjà, il n’y a
pas, au Japon, de plus grand raffinement, que de passer deux heures assis
silencieusement au bord d’un petit jardin à contempler un gros caillou.
Une chaîne internationale de magasins japonais, « Muji », a d’ores et déjà
pour stratégie de commercialiser des produits simples sans chichis : de la
sobriété dans le design, de la fonctionnalité basique dénuée de marque ou
d’emballage sophistiqué, du non-choix dans les rayons où l’on ne trouve
par exemple qu’une seule sorte de peigne ou de paire de ciseaux.
La simplicité devient évidemment une question d’hygiène et de lutte
contre la folie. La complexité ne peut pas impunément doubler de taille
tous les cinq ans à la façon d’un nénuphar sans créer de grandes pertur-
bations écologiques. Il y aura demain des cures de simplicité comme il y
avait jadis des cures d’amaigrissement pour les obèses. Les prescriptions
des médecins se multiplieront dans un courant de mode. Les organismes
de formation s’y mettront à leur tour. On peut imaginer en deux modules
de deux jours une formation appliquée à la prise de soleil, alternant les
apports théoriques et les mises en application sur le terrain consistant à
se tourner les pouces (cent fois dans le sens des aiguilles d’une montre,
cent fois dans le sens inverse), assis sur le bord d’un trottoir. Reste à
savoir si l’administration sera d’accord pour prendre en charge ce type de
« formation qualifiante ».