L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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des casques anti-bruit qui annulent jusqu’à 99,9 % du son ambiant (soit
30 décibels)… tout en vous inondant d’une musique « relaxante ».
Les technologies du silence ne remplaceront jamais le silence authentique
dans lequel baignait au Moyen Âge la lande de Bretagne, ce silence qui
permettait de dialoguer avec soi sans être constamment perturbé par
l’instabilité émotionnelle des autres.
Le silence risque de devenir progressivement un produit de luxe. Tout ce
qui est à la fois rare et précieux contient en puissance de la valeur éco-
nomique. Il ne serait pas surprenant qu’au milieu du siècle on assiste au
Big Bang du marché du silence, comme on a eu celui du bruit au milieu
du siècle précédent.
Le silence pourra ainsi se consommer, en égoïste ou en couple d’ama-
teurs, dans des abris spéciaux qui fonctionneront un peu comme
autrefois fonctionnaient les chapelles. Pour les petits budgets, il pourra
également se déguster dans des sortes de sarcophages installés dans les
centres commerciaux, les gares ou même sur le bord des rues bondées
du samedi après-midi. Isotherme, incolore, inodore, ceux-ci permettront
à des individus désorientés de s’allonger quelques instants et d’oublier
leurs engagement dans des projets ou des relations sans lendemain, de
digérer goutte après goutte toutes les indigestions matérielles, affectives
et intellectuelles, de recréer en eux les poches de vide suffisantes pour
être de nouveau capables d’absorber de la vie en petites tranches,
exactement comme un convalescent, après une longue diète, se remet
doucement à manger.
La dégustation pourra se faire à la séance ou à l’abonnement. Des forfaits
week-end seront proposés sur Internet dans le cadre d’offres promotion-
nelles. Des cures de silence pourront même être prescrites par les méde-
cins spécialisés dans la gestion du stress, qui vont récupérer la fonction
des prêtres d’autrefois et la clientèle innombrables des sur-épuisés, des
sur-stressés, des sur-abandonnés.
S
implicité
Quand vous étiez enfant, il y avait toujours moyen de trouver des explica-
tions simples aux choses. Vous pouviez expliquer une crise économique
par l’augmentation du prix du pétrole, ou la dépression de votre pauvre