Dictionnaire des mots en voie de disparition - page 37

L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
35
C
mal comment une civilisation frénétique pourrait se passer de frénésie.
­Imaginons une situation stable et paisible : quels nouveaux produits pour-
raient séduire les consommateurs ? Quelles nouvelles pourraient justifier
l’écoute de la radio ? La première vertu d’une « nouvelle » n’est-elle pas
d’être précisément nouvelle ? Beaucoup d’organisations ne ­doivent leur
existence qu’à la sortie hebdomadaire, mensuelle ou annuelle de crises
majeures (en fonction de la fréquence de leurs publications) : les infor-
mateurs, les commentateurs, les régulateurs, les accusateurs et même
les pompiers. À quoi bon être pompier si l’incendie ne se déclenche pas
régulièrement (et même, idéalement, pendant les horaires de travail fixés
par les conventions collectives) ? L’État lui-même a besoin de périls exté-
rieurs pour redresser la barre dans la tempête et justifier sa raison d’être :
les dictateurs le savent bien, qui ont toujours un responsable à désigner.
Les nations elles-mêmes ont besoin de défis constamment renouvelés
pour polariser leurs énergies, donner un axe à leur économie et un
modèle à leur organisation sociale. Si les crises n’existaient pas, il faudrait
les inventer.
Mais d’une certaine manière, tout cela a toujours existé. Depuis le début
du xx
siècle, un phénomène nouveau a fait son apparition.
2/ L’explosion de l’anthroposphère
De 1900 à 2000, la population mondiale a été multipliée par 4. Vers 2030,
elle aura été multipliée par 6, passant de 1 milliard et demi environ d’indi-
vidus à un peu plus de 9 milliards. Ces hommes, plus nombreux, sont éga-
lement plus grands, plus gros, plus gourmands. Ils mangent davantage, et
ils mangent surtout de la viande, ce qui exige beaucoup plus d’hectares­
cultivés et beaucoup plus d’eau douce. Ils vivent également plus vieux
et se déplacent davantage. Au final, la facture est salée : en calories et en
tonnes de CO2. On va vers la banqueroute. Et bien évidemment cela crée
des remous et aussi le vague sentiment d’être à la fin du monde ou à la fin
d’un monde, à la fin de l’Empire romain, au commencement d’un nouveau
Moyen Âge obscur et inquiétant. Chacun pique sa crise. Et c’est normal.
** *
1...,27,28,29,30,31,32,33,34,35,36 38,39,40,41,42,43,44,45,46,47,...234
Powered by FlippingBook