L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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faudra bientôt devoir transporter en tous lieux une carte de plus, une
carte en plus de la carte FNAC, de la carte Darty, de la carte de chacune
des librairies ou des grands magasins où vous mettez les pieds. Vous voilà
affublé d’une infinité de numéros clients qui tourbillonnent comme des
moucherons dans votre tête, tous assortis d’un mot de passe à coucher
dehors. Votre porte-monnaie commence à déformer la poche droite de
votre veste neuve.
Le rêve serait bien évidemment de faire jouer la fameuse « convergence
numérique » et de synthétiser toutes ces cartes en une seule « hyper-
carte » qui matérialiserait à elle seule tous vos engagements à la fidélité.
Multifidèle, vous seriez considérablement allégé.
En matière de légèreté, comme en matière d’évasion fiscale, on peut
cependant toujours faire des progrès. Au-delà des cartes de fidélité, on
pourrait imaginer une hypercarte universelle qui ajouterait aux témoi-
gnages de votre « fidélité » les données de votre passeport, de votre
permis de conduire, de votre carte de groupe sanguin, de votre permis
de chasse, de votre permis bateau, de votre carte Vitale, de votre carte
d’identité, de votre certificat de baptême, de vos nombreux diplômes, de
votre carte SNCF (au choix Fréquence, Vermeil, Famille nombreuse), de
votre carnet de vaccinations et de votre livret de famille.
Pourquoi même ne pas vous contenter de la puce qui est dans votre
carte et l’insérer dans votre téléphone mobile ? Vous diminuez ainsi la
possibilité de l’égarer. Et pour en communiquer les données aux serveurs
de vos fournisseurs ou de l’administration, c’est beaucoup plus facile. La
communication devient même possible à distance.
Si la poche droite de votre veste est souvent déformée par un porte-
monnaie volumineux, la poche gauche l’est souvent par un porte-clefs
non moins pesant. Pourquoi ne pas faire de nouveau une synthèse ?
Pour ouvrir le portail de votre maison ou de l’immeuble, pour mettre le
contact à la voiture, il suffirait alors de pianoter quelques chiffres entre-
coupés de #.
Mais pourquoi donc vous obstiner à matérialiser ce qui n’a pas besoin de
l’être ? Toutes les données que nous venons d’énumérer pourraient fort
bien se contenter d’être empilées soigneusement dans une base de don-
nées consultable à distance. Il vous suffirait alors de connaître par cœur
1 login + 1 password à pianoter sur un clavier, et le monde serait à vous.