Dictionnaire des mots en voie de disparition - page 23

L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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B
Un des mécanismes en action réside peut-être dans notre manie de la
compression. La France est, on le sait, depuis longtemps championne du
monde de la productivité économique. Seuls les Norvégiens font mieux
que nous, mais eux ils ont l’excuse d’avoir énormément de pétrole. Cette
course frénétique à la productivité explique par exemple que dans nos
magasins, nos restaurants, nos gares ou nos entreprises, il y a toujours
très peu de salariés, et qu’ils sont souvent débordés, stressés et par consé-
quent peu aimables. Dès qu’on quitte l’Europe, c’est flagrant : on entre
dans un hôtel, un aéroport ou n’importe quel lieu public, on trouve im-
médiatement un personnel considérable soucieux de fournir de la qualité
de services. La culture hexagonale de la productivité est obtenu au prix
d’une compression remarquable du personnel, justifiée peut-être par des
charges sociales importantes et des risques sociaux considérables­pour
les employeurs. Cette compression du personnel est renforcée par une
compression évidente du temps : « Il faut faire vite », « Je suis pressé »,
« Je n’ai pas le temps », etc., ainsi que par une compression non moins
évidente de l’espace : déjeunez ce midi dans n’importe quel bistrot pari-
sien et vous comprendrez vite. Dès qu’on sort de nos frontières, on a une
sensation bizarre de décompression et ceci même dans des pays plus
densément peuplés que le nôtre. On est moins bousculé à Tokyo ou à
Rome qu’à Paris, avec une densité de population pourtant trois fois plus
forte dans le pays. Tout se passe comme si nous étions les victimes d’une
certaine « culture de la compression ».
L’inventaire des solutions est évidemment infini. On peut citer, pêle-
mêle, la délocalisation en province, et si possible dans les campagnes,
de nos ­administrations ; la délégislation de masse et l’abrogation auto-
matique des lois, décrets ou règlements au bout d’un an (sauf si bien
sûr ils prouvent­un intérêt majeur) ; l’abandon progressif des structures
et statuts hiérarchiques (qui ne servent plus à grand-chose en face d’un
internet universel) ; le recentrage de l’école et de la formation profession-
nelle sur la personne de l’élève et de l’étudiant ; l’amaigrissement de l’État
au profit des communautés locales ou au contraire d’une confédération
internationale ; le développement des associations rentables en alter-
native aux associations subventionnées d’une part et aux actionnaires
du CAC 40 d’autre part. On peut rêver aussi d’une idéologie alternative
à celle de la productivité maximale et de l’individualisme forcené. On
peut imaginer une sorte de « néoconfucianisme » qui revaloriserait la
subordination (et même le sacrifice) de l’individu à ses communautés
d’appartenance, le calme (et même la modération), le travail (et même le
dépassement de soi dans le travail).
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