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D
ictionnaire
des mots
en
voie
de
disparition
temps ou le goût nécessaire de n’en apprécier que quelques-uns dans
une journée? Par ailleurs, l’accroissement illimité du capital matériel de
tous est en train de devenir matériellement impossible. Si chaque foyer
asiatique disposait aujourd’hui, comme il en rêve, d’autant d’automobiles
et de litres d’essence qu’un foyer français, il n’y aurait avant vingt ans plus
une goutte d’essence dans l’ensemble du monde. Et si chaque habitant
de Bombay ou de São Paolo habitait dans une grande villa au bord de la
mer, il faudrait que la ville s’étende sur plus de mille kilomètres de côtes.
La croissance matérielle quantitative est donc purement et simplement
impossible,
a fortiori
si elle s’inscrit dans la logique de la propriété privée.
Tout change dès le moment où l’on devient capable d’imaginer la crois-
sance « autrement ». Ce qui compte en effet, ce n’est pas la possession
légale mais l’utilisation effective. L’usufruit compte au fond davantage
que la nue-propriété. Le succès du Vélib (ou de son équivalent dans un
grand nombre de villes européennes) révèle que la mise en commun de
cinquante mille bicyclettes permet d’effectuer autant de trajets que la
propriété privée d’un million de vélos. Alors pourquoi ne pas imaginer la
même chose avec les automobiles, les appartements de vacances ou les
bureaux ? Les industriels savent depuis fort longtemps que l’accumula-
tion massive de capital n’a aucun sens si elle n’est pas accompagnée d’une
rotation rapide de ce même capital. La rotation rapide des ressources
allouées s’impose par ailleurs dans une économie orientée de plus en
plus vers les services à la personne et les « expériences » personnelles
éphémères et constamment renouvelées. De l’économie industrielle
de la possession, on glisse vers une économie du service, de l’usage et
de la fonction. Et si du « toujours plus », l’économie se déplaçait vers
le « toujours mieux » ? Et si l’alternative à la croissance quantitative
était non pas une « décroissance » hasardeuse mais une « croissance
qualitative », faite d’échanges accélérés d’expériences ou de formations
mutuelles ? Et si l’avenir économique appartenait à la relation, au ressenti,
au vécu personnel plutôt qu’au patrimoine immobilier ou au portefeuille
en Bourse ?
On peut donc imaginer une solution économique alternative où les
ressources sont limitées mais les transactions nombreuses. La location
d’un objet s’y substitue régulièrement à l’achat. On loue un véhicule pour
le week-end, une résidence secondaire pour deux semaines en août. Les
échanges personnalisés y remplacent par ailleurs les services de masse.
Les cours particuliers viennent par exemple remplacer les conférences ou
le e-learning. La gestion des compétences peut elle-même s’externaliser.