L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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C
(y compris celles de vos pieds) et même les zones de silence ou vous
pourriez vous refaire une petite santé après cette année – il faut le dire –
épuisante. Connaissez-vous beaucoup de planques exemptes à la fois du
chant fleuri des mobylettes, des sollicitations de petites filles de 5 ans
(qui voudraient une histoire avant de dormir), de la tondeuse à gazon du
voisin retraité, des ambulances du SAMU, des revendications des petites
filles de 7 ans (qui voudraient bien « qu’on s’intéresse aussi à elles »), des
lecteurs MP3 dans le train de banlieue et des souffleuses à feuilles mortes
(du même voisin retraité) ?
La réduction des ressources est encore aggravée par le paradoxal accrois-
sement de la demande dont nous parlions à propos de l’explosion de
l’anthroposphère. Si la demande mondiale de voitures pouvait aujourd’hui
même être satisfaite, il faudrait passer immédiatement de 650 millions
de véhicules à 3 milliards, soit un facteur 5 pour les 4 roues (je ne parle
pas des mobylettes, ni des ambulances du SAMU, ni des tondeuses à
gazon). Quand, au fur et à mesure que le gâteau se rétrécit, le nombre de
gourmands augmente, cela déclenche toujours plus de frustrations, de
différends, de collisions.
La crise de nerfs est encore plus menaçante quand la tendance mondiale
en matière de valeurs culturelles est à toujours davantage d’individua-
lisme, de revendication personnelle, de liberté de se goinfrer. Lorsque
les gloutons, munis de leurs fourchettes, encerclent un gâteau de plus
en plus petit, et qu’ils sont non seulement de plus en plus nombreux
mais également de plus en plus égocentriques, cela laisse envisager un
grabuge de plus en plus saisissant et une fin sinistre pour ce « repas
de famille » dont rêvait Grand-Maman. C’est dans les grandes villes,
a fortiori
dans les mégalopoles du tiers-monde, que le péplum risque
d’être le plus hollywoodien. Ils étaient 100 millions au début du siècle. Ils
sont aujourd’hui 3 milliards. Ils seront 6 milliards dans 30 ans à s’entasser
dans des villes chaudes, bruyantes et dépourvues de sanitaires.
Si l’on peut se réjouir de vivre sur une planète de moins en moins
ennuyeuse
(boring),
dans une vie toujours plus excitante
(exciting),
on
peut toutefois avoir mauvaise conscience de n’avoir rien tenté person-
nellement pour enrayer la fin du monde et de s’être rendu coupable en
quelque sorte de « non-assistance à planète en danger ».
On peut aussi rester perplexe sur l’art de se comporter dans un monde
de fous de plus en plus agités.