Dictionnaire des mots en voie de disparition - page 77

L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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auteur, des professionnels de la mise en page, des ­imprimeurs, un ré-
seau de diffusion auprès des libraires, une logistique de distribution et
des relations bien placées (notamment dans les médias) pour assurer
la promotion de l’ouvrage et sa vente massive le jour de sa sortie. Les
livres sont aujourd’hui comme les favorites d’autrefois : tout se joue le
jour de leur première sortie.
Le gestionnaire de marque :
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de tous les acteurs, il est aujourd’hui
le plus irremplaçable. Il sera donc de tous le moins aisément externa-
lisé. Dans l’océan de l’hyperchoix, la marque est en effet une bouée de
sauvetage pour le consommateur, une assurance contre l’incertitude,
un remède contre le désarroi. Une marque doit être claire, cohé-
rente, stable et surtout fiable : sa gestion est un métier qui demande
une continuité à vie. C’est pourquoi peut-être leur vie est souvent
­associée à celle d’un homme et s’éteint parfois avec lui. Que vaudrait
un ­restaurant Pierre Gagnaire sans Pierre Gagnaire ? Sans doute ce
que vaut Yves Saint Laurent depuis qu’Yves Saint Laurent s’en est allé.
Pourtant Renault, Peugeot ou Citroën ont survécu à leur fondateur,
mais non sans turbulences. Au cœur de l’entreprise, la marque en est
le noyau dur qui dure.
Tout ce qui fondait autrefois l’entreprise en est donc progressivement
sorti, à l’exception peut-être de la marque, encore que certaines entre-
prises soient multimarques et certaines marques multi-entreprises. On
peut donc se hasarder à une définition nouvelle de l’entreprise : celle
d’un réseau de collaborateurs rassemblés sous des marques pour faire
aboutir des projets. Dans ces conditions pourquoi conserver le terme
d’entreprise au dictionnaire alors qu’il serait plus simple et plus exact de
parler de « Projets » ?
Ainsi, autant les entreprises d’autrefois s’inscrivaient toutes dans un
­nombre limité de modèles (la ferme, l’usine ou le petit commerce), autant
celles d’aujourd’hui se définissent comme des configurations originales,
instables et constamment réinventées.
Ces OVNIS peuvent d’une certaine façon faire penser à la peinture
contemporaine en opposition à l’art classique. Dans l’art classique, il y a
des formes
a priori :
celle du temple, du concerto ou du portrait. L’artiste
est censé se limiter à une exécution parfaite de la commande qu’on lui a
passée. Dans l’art contemporain, chaque artiste dispose au contraire d’une
liberté terrifiante : il doit préconcevoir un genre artistique complètement
nouveau, un monde avec des règles, des sens uniques, des sens interdits
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