L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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Depuis le haut, l’Europe prend de plus en plus le relais, que ce soit sous la
forme de la Commission de Bruxelles ou, prochainement, sous le visage
d’un sympathique président. L’Europe édicte des normes et les surveille.
Elle possède sa propre Cour de justice, sa propre monnaie, son propre
système de valeurs.
Depuis le haut toujours, la mondialisation va imposer de plus en plus
une gouvernance mondiale. Le jour où l’ONU et le G20 auront fusionné,
la globalisation ne sera plus seulement une réalité économique mais
aussi politique. L’impôt mondial (levé indirectement
via
les impôts
nationaux), la police mondiale et la monnaie mondiale suivront. Les
États subversifs qui souhaiteront faire bande à part seront non seulement
boycottés mais aussi réprimés, comme par exemple le furent en France
les hérésies cathares sous les rois capétiens. Sous la double menace du
chaos économique et du chaos écologique, cet exécutif mondial est
aujourd’hui devenu incontournable : il n’est pas une option mais une
obligation vitale.
Depuis le bas, l’État est relayé par les Régions qui depuis les grandes lois sur
la décentralisation ont pris toujours plus d’importance. Les communes
ou les agglomérations vont, elles aussi, monter en puissance, ne serait-ce
que pour des raisons d’économies d’énergie. L’augmentation du coût des
transports va par exemple favoriser l’autosuffisance agro-alimentaire :
dans un contexte général de précarité ou de sobriété, il vaut mieux
consommer local et saisonnier. Le raccourcissement des chaînes d’appro-
visionnement imposera d’une certaine façon le retour au pouvoir féodal,
comme cela s’est déjà produit lorsque l’Empire romain s’est effondré sous
le poids de ses charges.
Au lieu de concentrer entre ses mains la totalité du pouvoir, le pouvoir
national ne sera bientôt plus qu’un échelon intermédiaire dans la
hiérarchie féodale, un peu comme le duc ou le comte se trouvaient à
mi-parcours entre l’empereur du monde et le baron local, et l’évêque,
entre le pape et le châtelain du village. On parlera donc peut-être demain
des États comme on parle aujourd’hui des rois et des reines d’autrefois.
Le président de la République française ne sera peut-être plus bientôt
que ce qu’est aujourd’hui le prince de Monaco : un « people » à la vie
sentimentale tumultueuse (certains sont plus doués que d’autres), une
curiosité touristique, une attraction d’Eurodisney (certains combinent
tous ces talents).
Qu’est-ce encore qu’un État une fois qu’il a été dépouillé de ses attributs
traditionnels qui étaient la monnaie, la santé, l’éducation, la citoyenneté
et la surveillance des frontières ?