Ayez des tas d’amis
C
es deux derniers siècles ont fait passer l’humanité
d’une situation extrême à l’extrême opposé. D’un
contexte de précarité, nous sommes brusquement passés
à un contexte de surabondance, comme un interrupteur
qu’on allume soudain au milieu de la nuit, alors que nous
dormions. Et toutes les habitudes millénaires d’économie
ou de rigueur sont devenues obsolètes. La connaissance
des règles élémentaires de la «
diététique
» est en revanche
devenue une condition de survie : diététique des ali-
ments, diététique de l’information, diététique des rela-
tions.
Les occasions de rencontre étaient pour nos ancêtres
plutôt rares. L’absence d’automobiles confinait la plupart
des gens à la campagne, dans un espace très exigu :
leur vie se déroulait au sein d’un cercle de quelques kilo-
mètres de rayon, essentiellement rempli de champs et de
petits villages. Tout le monde se connaissait. Il était fort
commun qu’on fût cousin avec la moitié du village. Le
choix des amis et du conjoint était dicté par la nécessité.
En fait, la question du choix ne se posait pas plus pour le
conjoint que pour le métier, le domicile, les loisirs ou les
vacances. Ce monde était celui où les choses vont de soi.
Les possibilités de rencontres sont aujourd’hui illimitées.
Cinq milliards d’amis au bout des doigts. Les sites Web et
les forums en ligne, les métropoles sans limite débordent
de promesses. L’humain lambda parcourt, au cours de sa
brève existence, mille ou dix mille fois plus de kilomètres
que son arrière-arrière-grand-père. On se déplace pour le
travail, on se déplace pour les vacances, on se déplace
pour les loisirs, à chaque déplacement nouveau, on
fait de nouvelles rencontres. Or, quand on se déplace,
on prend non seulement plus de pluie, mais on brasse
également beaucoup plus de rencontres potentielles.
et de saboter ses relations de couple
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