L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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L
ibraire
L’évolution du métier de libraire accompagne naturellement les évolu-
tions du livre. Or la valeur d’un livre réside de moins en moins dans le
texte qui le compose. La valeur du fichier numérique qui le contient
tendra de plus en plus souvent vers zéro car le coût de stockage ou de
diffusion d’un fichier numérique tend lui-même vers zéro. Surtout, il y a
inflation de manuscrits et d’auteurs qui s’expriment. Trop de livres tuent
le livre.
Bien sûr, il y a le triage objectif effectué par le monde de l’édition qui
sélectionne certains textes et les transforme en livres imprimés, disposés
en évidence sur la table des nouveautés. Mais les critères de cette sélection
sont douteux : ils reposent beaucoup moins sur la valeur objective d’un
écrit que sur sa probabilité d’obtenir un succès commercial immédiat
dû à l’actualité brûlante du sujet traité ou à la notoriété de son auteur.
Si notre Zidane national publiait aujourd’hui ses
Mémoires,
la réussite
financière de l’opération serait garantie, quelle que soit la teneur intrin-
sèque du manuscrit. De plus, le cours du papier va progressivement
augmenter et les coûts de logistique et de stockage vont flamber : les
gaspillages vont devenir de moins en moins tolérables. Les librairies, au
sens où nous l’entendons aujourd’hui, c’est-à-dire des lieux de stockage
et d’exposition de livres pré-imprimés dans lesquels le libraire se contente
de tenir une caisse enregistreuse et de distribuer des cartes de fidélité
sans faire l’aumône d’un sourire ou d’un regard à son client (êtes-vous
déjà allé dans une grande surface de librairie parisienne ?) vont disparaître
encore plus vite que ne disparurent les dinosaures à la fin du Crétacé.
Un autre type de libraire devrait alors faire son apparition autour de trois
compétences complémentaires :
Le navigateur
X
X
au sein des constellations du savoir. Le problème
essentiel du lecteur du futur n’étant plus le manque de nourriture,
mais au contraire la surabondance, il a besoin d’un guide qui lui
épargne l’effort fastidieux d’une recherche (parfois vaine), d’une sélec-
tion (souvent frustrante), d’une décision d’achat (toujours délicate).
Le libraire idéal devient alors un filtre, un guide, un mentor, un pas-
seur, un peu comme Virgile faisant faire à Dante la visite des Enfers
avant de le reconduire sain et sauf aux portes du Paradis. Le « choix
du libraire » justifiera le passage chez le libraire, même si Amazon est
techniquement plus commode.
