puisqu’elle repose sur cette idée que les outils et les
moyens mêmes que nous mettons au service de l’efficacité
peuvent se retourner contre l’efficacité elle-même. Si
vous lisez ces lignes en 2040 ou en 2200, vous sourirez
peut-être. La bureautique aura sans doute progressé suffi-
samment en convivialité et en facilité de mise en œuvre
pour pallier les inconvénients que je vais maintenant
décrire, mais l’esprit dans lequel j’écris concerne en
revanche sans doute plus encore votre temps que le mien.
Plus l’information est abondante et captivante et plus la
nécessité de la concentration et du filtrage constitue une
véritable condition de survie.
Prenons l’exemple simple d’un mot de trois lignes à écrire.
Prendre un Bic et griffonner trois lignes sur une carte de
visite, cela prend moins d’une minute.
Se piquer d’être vraiment « professionnel », ouvrir l’ordi-
nateur, créer un fichier, taper le texte, ouvrir l’imprimante,
charger des feuilles de papier en-tête dans le bac d’ali-
mentation, faire un premier tirage, rectifier la mise en
page, faire un second tirage, etc., cela peut prendre jus-
qu’à trente minutes, surtout si l’utilisateur ne connaît pas
son traitement de texte sur le bout des doigts (ce qui est
difficile, puisqu’une nouvelle version sort pratiquement
chaque année).
La vérité est que votre ordinateur et les innombrables
logiciels qui l’habitent peuvent vous faire perdre un
temps infiniment supérieur à celui qu’ils peuvent vous
faire gagner. Chacun de ces logiciels impose en effet
un temps d’achat, d’installation, d’apprentissage et de
personnalisation considérable qui se transforme en
gaspillage pur et simple de temps et d’énergie psychique
s’il n’est pas destiné à un usage quotidien ou du moins
régulier. Or la plupart des logiciels ne sont pas destinés à
des besoins réguliers. Un peu comme si on vous offrait
L’art de perdre son temps
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