interdit dorénavant le confort simple de la carte de visite.
L’ « ambivalence » se généralise et les gourous ou psycho-
thérapeutes vendeurs de cohérence intime connaissent
une activité fleurissante. D’autant qu’une société faite
d’êtres libres, différents et complexes, c’est également
une société de gens ininterchangeables et insuperpo-
sables, donc profondément seuls. L’autre ne pourra
plus jamais comme autrefois être un miroir. Il n’y a pas
d’union sans aliénation, de plénitude sans solitude et
l’accomplissement individuel implique donc la rupture
sans appel du sentiment d’appartenance.
Cette atomisation de la société, cette eau limpide au reflet
tranquille qui se brise, cette fin de l’Histoire au profit de
nos histoires, qui deviennent autant de cheminements
intéressants, de destinées individuelles, avec chacune un
point de départ et un point d’arrivée, rend impossible ce
que, depuis que la parole existe, nous avons appelé
l’amour, l’amour inconditionnel et simple, l’amour sans
histoires. La responsabilité dont est dorénavant investi
l’individu de son propre destin, lui interdit de s’abandon-
ner en toute insouciance.
Au XXI
e
siècle, la quête de l’absolu est périmée. Les psy-
chiatres de l’époque s’empressent de la répertorier parmi
leurs « maladies », les juristes, parmi les « délits ». Les
valeurs d’un groupe d’hommes, ne l’oublions pas, sont
toujours une réponse à un environnement. Dans
ce contexte, l’amour traditionnel, passionné, définitif ou
romantique n’est plus possible parce qu’il entre en
contradiction avec une valeur incontournable : l’autono-
mie individuelle. La «
différence
», inévitable, implique la
solitude, la vraie, l’intérieure, celle qui vous traque par-
tout. Toute rencontre ne peut donc plus qu’être finalisée,
conditionnelle et provisoire. Le don inconditionnel de soi
n’intéresse plus que les historiens de la littérature et
les élèves de quatrième, comme aujourd’hui encore on
et de saboter ses relations de couple
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