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D
ictionnaire
des mots
en
voie
de
disparition
plutôt des polysédentaires, des habitués simultanés de plusieurs centres
entre lesquels ils se partagent. Dans un monde polycentré, il n’y a en
effet plus vraiment de capitales nationales, mais plutôt un réseau de
capitales internationales, qui se ressemblent comme des sœurs et entre
lesquelles se partage une élite cosmopolite que nous pourrions appeler
la « cosmélite ».
Cette cosmélite voyage beaucoup mais hante régulièrement les mêmes
lieux. Ses membres aspirent à se retrouver périodiquement pour partager
leurs créations artistiques ou gastronomiques, leurs découvertes scienti-
fiques ou leurs projets d’affaires. Ils ont besoin de se sentir chez eux dans
leurs capitales préférées (Venise, Paris, Londres, Montréal, New York,
Los Angeles, Marrakech, Dubaï, Tokyo, Hong Kong, Singapour), même
si ce n’est pour y séjourner que quelques jours ou quelques semaines
par an.
Mais où loger ? Le membre d’une élite mondiale ne peut quand même
pas dormir à la belle étoile.
On peut prédire un bel avenir aux chaînes d’hôtels de luxe comme
les Peninsula, Four-Seasons, Mandarin Oriental. On peut leur préférer
l’hébergement couleur locale des ryokan japonais, des riads marocains,
des auberges de charme latines ou des bed and breakfast anglo-saxons.
Mais tout cela est à la longue fastidieux : transporter des bagages, déter-
miner le lieu optimal pour planter sa tente, négocier âprement le prix
d’une chambre. On ne sent alors jamais vraiment chez soi loin de chez
soi. Il faut périodiquement revenir à sa base principale, son porte-avion,
son garde-meuble, son cœur de patrimoine, ne serait-ce que pour faire
une lessive (de son linge ou de son cœur). L’ubiquité nomade ne serait-
elle qu’un mirage ?
Or voici qu’une approche nouvelle émerge sous nos yeux autour de la
notion de « propriété partagée ».
La technique du streaming a fait considérablement évoluer les mœurs
en matière musicale. Les amateurs de musique ont peu à peu aban-
donné leur habitude de télécharger des fichiers pour les stocker ensuite
inutilement. Ils ont compris qu’en matière de musique, une seule chose
comptait : l’écoute de la musique. Et pourvu que certains sites (comme
Deezer.com) leurs en confèrent la jouissance illimitée, ils ne soucient plus
guère de constituer des entrepôts à la maintenance fastidieuse.