pour survivre, il faut vendre, et que pour vendre il faut
aller déterrer le client où il se trouve, c’est-à-dire partout.
Des robots m’interpellent par téléphone pour me vendre
des cuisines équipées, des images pleines de lumière
et de couleurs m’assaillent où que je tourne les yeux : je
suis sollicité chaque jour par des milliers de propositions
irrésistibles.
Et comme si ma propre vie (pourtant déjà bien pleine)
ne me suffisait pas, une quantité infinie d’autres vies
parallèles vont dans les prochaines décennies venir me
proposer de la doubler. Des lunettes magiques, des gants
extraordinaires, des combinaisons pleines de transistors,
des simulateurs en tous genres vont peu à peu me pro-
poser des existences « virtuelles » avec encore plus d’exci-
tations multicolores, mais expurgées, surtout, du peu de
moments de tristesse et d’ennui qu’il me restait encore.
L’offre des possibilités excède dorénavant de plusieurs
milliards de fois notre capacité de recevoir et d’apprécier
les choses. Une disproportion infinie est en train d’appa-
raître entre les sollicitations du monde et la capacité
d’assimilation des hommes. La saturation vous guette à
chaque instant et guettera vos enfants plus encore.
Le stress du siècle à venir devient intolérable. De plus
en plus de gens démissionnent. La drogue, les sectes, le
tribalisme, la récupération par des pouvoirs maffieux,
ne sont que quelques illustrations du déboussolement
général. En fait, la survie n’est possible, au XXI
e
siècle,
que pour qui sait choisir. Renoncer, sacrifier, savoir dire
« Non », même à ce qui séduit, deviennent des attitudes,
et même des aptitudes, fondamentales.
Nos aïeux, pour subsister, devaient trouver de la nourri-
ture, de l’argent, du charbon, du pétrole ou de l’informa-
tion. Une idéologie de la précarité s’est mise en place,
diffusée notamment par les grandes religions. Le christia-
nisme fait l’apologie des béatitudes, le confucianisme,
L’art de perdre son temps
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