L'art de perdre son temps - page 98

magique. Quand tu voudras vieillir un peu, tu n’auras
qu’à débobiner un peu de fil.
Le petit garçon ne se le fit pas dire deux fois. Tout de suite
il déroula un mètre ou deux et se retrouva soudain à l’âge
de vingt ans. Il faisait en effet un contresens total, mais
néanmoins classique, en supposant que c’était là l’âge le
plus heureux de l’existence.
Très vite, il réalisa que la jeunesse n’est pas le temps
des fleurs, mais celui des échecs, de l’absence et de la pré-
carité.
Très vite, il voulut donc trente ans pour avoir une femme,
un travail et un logement.
Il eut soudain trente ans. Il lui avait pour cela suffi de
dérouler un peu de fil.
Il éprouva ce qu’éprouvent les gens de trente ans : le
désir d’être installé plus solidement dans l’existence et
d’avoir plus d’argent.
Il eut successivement quarante, cinquante et soixante ans.
Son patrimoine s’élargit à chaque fois un peu plus.
Soudain ses cheveux blancs se hérissèrent sur sa tête. Les
yeux fixés sur la bobine, il se rendit compte qu’elle ne
contenait presque plus de fil et, quasi simultanément,
que ses jambes flageolantes ne soutenaient plus son corps
vieilli.
Il lui fallut s’asseoir.
De nouveau il pleura, avec le peu de larmes que ses yeux
desséchés pouvaient encore fournir.
Le monsieur vêtu de noir surgit alors de nouveau.
— Pourquoi te lamentes-tu ? N’as-tu pas eu ce que tu sou-
haitais ?
— Non, Monsieur, je recherchais le jour et j’ai trouvé
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