idées, revint de nouveau. Le gazon repoussa. Très vite. Et il
fallut recommencer. Je compris alors que dès le départ j’avais
commis une grave erreur de logique. Contrairement à ce que je
pensais, ce n’était pas moi qui étais devenu propriétaire d’un
gazon, mais un gazon qui était devenu propriétaire de moi.
» Tout ce que nous possédons nous possède.
» Car ce qui était vrai du gazon l’était aussi de la maison.
L’entretien de la toiture et la réfection de l’électricité ne pou-
vaient pas attendre. C’était vrai également des deux voitures,
qu’il fallait nettoyer régulièrement. La femme, la fille et l’entre-
prise, n’en parlons pas. Toute ma vie était ainsi en quelque
sorte happée par l’extérieur, par ce patrimoine insatiable qui ne
voulait pas cesser un seul instant de me solliciter. Je n’existais
plus en tant que moi. J’étais devenu la propriété exclusive de
mes propriétés.
» Alors, dans un grand moment de rejet, j’ai décidé de faire
table rase, de me débarrasser de tout. J’ai mis de la strychnine
dans le café de ma femme, de la mort-aux-rats dans le gazon et
je me suis enfui en Amérique.
» J’ai compris par la même occasion que pour réussir sa vie,
il y avait un grand secret : il fallait s’encombrer le moins
possible.
» J’ai donc acheté une grande voiture pourvue d’un coffre
insondable que j’ai rempli de tout l’indispensable :
» — Un sac de voyage plein de vêtements de base : 2 pyjamas,
2 pantalons (un de toile et l’autre de velours), 4 chemises,
4 paires de chaussettes, 4 slips, 4 tee-shirts et un maillot de bain.
» — Une valise remplie de vêtements exceptionnels : anorak,
gants, bonnets et pantalons de ski adaptés aux grands froids.
» — Une tente et un sac de couchage conçu pour supporter
jusqu'à - 25°.
» — Une caisse pleine de livres, de disques compacts et de logi-
ciels variés.
et d’en faire perdre aux autres
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