Refusez de regarder
les choses en face
L
es entreprises privées, contrairement aux administra-
tions, ne sauraient ignorer bien longtemps le principe
de réalité. La loi du marché opère en temps réel impitoya-
blement et le refus de regarder les choses en face conduit
immédiatement au dépôt de bilan.
Or, dans une société du paraître (même si elle va peu
à peu disparaître), l’art de regarder le réel au fond des
yeux est constamment désenseigné. Abreuvé de concepts
abstraits par l’école, flatté quotidiennement dans son
principe de plaisir par les médias, initié très tôt à l’
Internet
surfing
et aux techniques hallucinogènes, le citadin
moyen vit dans un œuf, une bulle de savon susceptible
d’éclater au premier choc. Inutile donc de dire dans quelle
mesure, intérieurement, il sera rongé par des angoisses
obscures. Tous les prétextes seront bons pour perpétuer
l’œuf, depuis le Club Méditerranée lorsqu’il s’éloigne jus-
qu’au reflux devant le petit écran (de la télévision ou de
l’ordinateur) dès qu’il rentre chez lui. Et dès que l’écran
s’allume, le spectacle hallucinogène continue.
Il ne faut pas chercher ailleurs l’explication de la deuxième
guerre du Golfe. L’économie mondiale d’aujourd’hui est
une économie du rêve construite sur un rêve. Elle ne peut
être perpétuée que par le rêve : il lui faut pour
survivre un flux ininterrompu de nouveaux westerns avec
des bons et des méchants (l’empire du Mal), de
nouveaux films de science-fiction hollywoodesques. Ce
qu’on a appelé la croissance spectaculaire des USA (les 2/3
de la croissance du PIB mondial) est à peu près aussi arti-
ficiel qu’une ville comme Las Vegas ou les complexes de
loisirs en Floride. À bien y regarder les secteurs moteurs
de la croissance ont presque tous été les secteurs des
